jeudi 29 mars 2018

Que faire ?


Nous voilà dépouillés comme au coin d’un bois. L’offensive ultra-libérale est maximale contre ce qui rendait notre société à peu près vivable. Le travail de sape, poursuivi sans coup férir par les gouvernements qui se sont succédés depuis quarante ans, semble atteindre son point maximal avec Macron. Et cela dans une apathie qui est d’autant plus générale qu’elle a été, longtemps, travaillée au corps.

Que faire ? Il semble que, du côté des étudiants, se diffuse l’idée de coordonner les luttes avec les cheminots et les fonctionnaires. Voilà une chance de limiter les dégâts : la lutte unitaire. Avec ou sans les syndicats car, dans ce contexte, il serait mal venu de jouer les puristes et, quoi qu’on en pense, les bataillons de base de la CGT pèsent un poids que nous n’avons plus le luxe de chipoter .

Par quoi commencer ? Sans faire fi d’autres initiatives (grève, occupations, manifestations) à venir, pourquoi ne pas commencer par réoccuper l’espace public ? La Plaine à Marseille. La place Bellecour à Lyon. La place de la République à Paris… Les facultés. Les entreprises. Les gares. 

Loin de nous l’idée de ressusciter une hypothétique Nuit debout mais, bien plus modestement, de compter nos forces, de réaliser, intuitu personæ, que nous ne sommes pas si isolés, d’offrir à notre refus une localisation pour tenter de redonner vie à ce vieux vocable : la convergences des luttes.


mardi 20 mars 2018

La vieille dame dans le silence des forêts


Il est toujours bon de doucher l’optimisme (de moins en moins béat, il faut le reconnaître) de celles et ceux qui trouvent notre organisation sociale toujours « vivable ». Activité qui se révèle moins ardue qu’auparavant car, avec la raréfaction des espèces et, par là-même, des capacités de survie de l’humanité, se raréfient les arguments, régurgités ad libitum après le journal vespéral, contre notre juste critique du "Progrès". 

Nous avons noté ainsi à quel point la dégradation générale de nos conditions d’existence rend sa banale évidence aux plus radicales de nos constatations. D’aucuns auront noté que si, hélas, les consciences ne se radicalisent pas et si l’énergie employée au déni atteint des proportions impressionnantes, le réel, avec toute la violence dont nous le savons capable, se radicalise, lui, à une vitesse littéralement folle. Il ne sera bientôt plus la peine d'élaborer, face aux thuriféraires de nos démocraties de marchés, un discours argumenté sur la catastrophe présente : il suffira de désigner simplement chacune de ses manifestations et cette sinistre propagande par le fait rythmera ces constatations, chaque fois plus nombreuses, du son de sa marche funèbre. 

Ce matin, ainsi, on mentionnera ces vieilles femmes japonaises, esseulées, abandonnées et si pauvres qu’elles n’ont plus d’autres ressources que de commettre un nombre suffisant de larcins pour aller en prison - ultime refuge dans cet étrange avant poste du capitalisme qu'est le Japon -, où elles trouvent nourriture, chauffage et compagnie. On rappellera aussi, sans prendre la peine d’indiquer l’évidence du lien, qu’un tiers des oiseaux de nos campagnes a disparu depuis la fin des années 2000 et que le rythme de cette disparition ne cesse de s’accélérer depuis deux ans. Le silence des bois sera alors le nôtre.


vendredi 9 mars 2018

Il y a toujours mieux que la mort



On sait pourtant que dans un monde si désastreusement unifié, on ne peut se sauver tout seul, non seulement pour la raison qu’il n’y a nulle part où s’en retirer, ni aucune manière de s’en abriter ; mais encore pour celle-ci que ce serait pour rien : nous avons pour être heureux besoin de la société du genre humain. On n’a donc pas le choix que de travailler à la sauver. Mais par où commencer ? 

Disons qu’il faut commencer de se sauver tout seul, que c’est une obligation que l’on a envers soi-même de se désabuser de toutes les crédulités de la vie moderne, ses faux plaisirs et ses ersatz, ses nécessités prétendues et ses représentations trompeuses, qui nous troublent et nous égarent ; que ce n’est pas un austère devoir mais au contraire qu’il y a beaucoup d’agrément à connaître la contradiction de son esprit avec le néant de cette vie mimétique, vie toujours honteuse et souvent ridicule, d’ailleurs empoisonnée et qui ne vit même pas. 

Et ce serait le diable que l’on ne rencontrât pas bientôt d’autres musiciens de Brême partageant le même intéressant secret : il y a toujours mieux que la mort. D’où l’on pourra songer à vérifier la validité de cette autre maxime qui peut mener loin, et même jusqu’à l’idée qu’il serait enfin possible de vivre : les hommes ne sont limités par rien que par des opinions.

Encyclopédie des Nuisances, Remarques sur la paralysie de décembre 1995


jeudi 8 mars 2018

Se souvenir d'Antonin Artaud (1896-1948)






Je suis ce primitif mécontent de l’horreur inexpiable des choses. Je ne veux pas me reproduire dans les choses, mais je veux que les choses se produisent par moi. Je ne veux pas d’une idée du moi dans mon poème et je ne veux pas m’y revoir, moi.  



mercredi 7 mars 2018

Thomas Munzer ou La guerre des paysans




En mars 1525, 40,000 paysans insurgés tiennent les campagnes d’Allemagne, démolissent un millier de châteaux forts et confisquent leurs richesses. Ils sont entraînés par un tribun exceptionnel, Thomas Munzer, dont les discours enflammés, inquiètent depuis longtemps Luther et les princes de l’Empire germanique. Maurice Pianzola retrace le destin de ce personnage essentiel de l’histoire allemande, qui ne craignit jamais de défier les puissances de son temps pour mettre fin à la « très grande horreur sur cette terre... ».


mardi 6 mars 2018

Le vent dans les pins


à Tu Kuang ting

pose-toi la question, être ministre à la cour,
ou être un immortel dans la forêt, peut-on comparer ?
un pichet de bon vin, un fourneau pour l’élixir,
le bonheur de s’endormir en pleine journée en écoutant le vent dans les pins

Chang Ling Wen (IXe siècle)


lundi 5 mars 2018

Populaire, le catch !


Organiser un gala de catch [le samedi 24 février dernier] en soutien à notre asso de chômeurs, l’Apeis ? Si l’idée faisait marrer tout le monde, peu semblaient y croire. La municipalité d’Ivry mettait à notre disposition le gymnase Auguste Delaune, temple du handball d’une jauge de 1477 places ; on avait 500 affiches et 5000 flyers à dispatcher ; une dizaine de catcheurs de l’ABCA (la plus vieille école de catch de France) ; une fanfare de 13 personnes (le Bellette Brass Band !) ; la cantine des Bokhalés qui préparait plus de 500 repas ; des fûts de bière… et moults frais divers. Fallait pas se louper, sous peine de transformer une soirée de solidarité en gouffre financier. 

Mais surtout, au-delà des questions triviales de pognon, ce gala allait prouver ou infirmer ce que l’on défend depuis si longtemps (dans ChériBibi et ailleurs) : la culture populaire, tant méprisée des élites, est l’antithèse de cette « culture de masse » décérébrante et mercantile qu’on nous sert matin, midi et soir. La culture populaire, culture de classe, fabrique de la fraternité et, de fait, peut réunir un public éclectique autour de bonheurs combatifs.

Résultat ? 1394 entrées (1500 selon Le Parisien), autant dire un carton plein pour ce gala sur lequel peu auraient vraiment parié, sauf nous. Une soirée rare, exceptionnelle, chaleureuse, drôle, politique, amicale… et pleine de sens. Un public qui ressemblait à la vie, la vraie : jeunes, vieux, femmes, hommes, rockeurs, Roms, prolos avec ou sans boulot, militants, voisins ou venus de loin. Voilà comment on fête les 30 ans de l’Apeis (et la sortie du dernier ChériBibi), avec un grand et beau spectacle populaire. Et un gros doigt à ceux qui n’ont que mépris pour cet adjectif, « populaire » ; à ceux qui rabâchent qu’on ne s’adresse qu’à des « niches » et que le peuple dont on parle tant n’a que faire de nos sommaires. 

Bien sûr, hors le bonheur et la joie ressentis et partagés, cette soirée nous permet d’avoir des moyens pour continuer à nous battre afin de faire valoir les droits de celles et ceux qui sont stigmatisés, chômeurs, précaires, sans droits. Mais surtout, elle a prouvé la justesse et la nécessité de ce que l’on défend dans nos pages et nos actions. Alors oui, aujourd’hui nous sommes émus et fiers. Et fiers d’être émus. Merci à toutes, à tous. La lutte des classes a vraiment de la classe. 

Daniel Paris-Clavel, revue ChériBibi et co-organisateur du gala