lundi 30 octobre 2017

Un(e) mystique ?

 
D'un geste très oriental, Hossein Soleimani pause soigneusement son briquet sur le paquet de cigarettes avant de désigner le bout de table où Guimard est assis.
"- En voilà un qui pourrait être le paradigme de ce que nous sommes : deux ou trois manuscrits en attente, des ressources économiques aussi incertaines que mystérieuses, un zeste d'hypocondrie et un désir de révolte qui se cantonne au rythme de son clavier. Le tout, enveloppé dans un désespoir lui-même en lambeaux à force d'avoir été ressassé. Sentez-vous du talent chez cet homme ? J'ai lu son manuscrit. Cela s'appelle Les frontières du nord. Je ne sais qu'en dire. Je suis un peu gris mais je vais risquer un jugement : il a du talent, un talent des marges, un talent qui promet sans jamais se commettre avec certaines formes du réel. Regardez-le pointer son index vers la petite Paulet : il y a de la hargne chaque fois qu'il veut s'expliquer, ne serait-ce que pour défendre ses goûts en matière de vin. C'est la hargne du réprouvé. Est-il original ? Sommes-nous originaux ? Si oui, nous possédons cette originalité qu'arborent les écrivains inconnus : une morale qui voudrait se tenir en dehors de l'hypocrisie. Remarquez, je me demande si cette morale là ne constituerait pas elle-aussi un créneau. Il y a une telle demande... Ceci dit, regardez ses mains, sa façon de boire son verre de vin, cette bedaine, ce regard vif. C'est un animal à sang chaud. Un viveur un peu forcé qui jugule ses peurs sur l'écran de son ordinateur. Qu'est-ce que l'écriture pour lui ? Pour nous ? Une adhésion sincère au pouvoir de l'encre ? Allez savoir... Je ne sais plus qui disait que malgré la jungle des câbles, la forêt des antennes et des paraboles, il faut continuer à écrire dans l'espoir qu'au milieu de ce bordel quelqu'un nous lira. Une mystique ? Une solution de repli face à ce que nous prenons dans les dents ? Une lâcheté qui se dissimule derrière des imprécations ? J'aime bien le regarder : il boit comme s'il ne devait plus jamais boire. Il y a quelque chose du noyé chez Guimard. Il faut dire que je vois des noyés partout en ce moment, des femmes et des hommes submergés par l'absence de solution. Pourtant, je dois l'admettre, nous bougeons encore. Nous respirons. Nous racontons des histoires. Nous noircissons carnets et écrans à la recherche de je ne sais quoi. La vérité ? Comme vous, ce genre de mot me donne des aigreurs d'estomac. Je me sens toujours assez petit garçon quand quelqu'un les ramène sur la table. Soyons plus modestes. Je parierais que nous cherchons surtout un lecteur attentif. Quelqu'un qui mêlera ses erreurs aux nôtres pour que nous puissions donner un sens aux mots que nous avons empilé là. L'intégrité ? Regardez Guimard, il est amoureux d'Ampus, cela crève les yeux tout autant que le poids qu'il a perdu depuis qu'il la connaît. Il fait un régime, je vous l'assure ! Pourtant, je suis certain qu'il cèderait aux sirènes d'un autre éditeur si celles-ci venaient lui chanter les mirages d'une publication plus élargie. Et alors là, l'amour... Il ne resterait de son élan que l'encens qu'il n'aurait pas eu le temps de brûler." 

Les enfants de Moloch, walk in progress